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Les critiques littéraires de maa_theodora

14 novembre 2011

Sa maman n'est pas une putain

livre de ma mere

J’ai lu quelque part que Van Gogh disait qu’une œuvre d’art devrait être quelque chose de consolant comme une musique. Je ne vais pas me lancer dans une grande tirade sur les vertus cathartiques de l’écriture mais certains écrivains réussissent bien à décrire leur peine et par ce biais à l’atténuer un peu sans entrer dans le mélodrame. La perte d’un être cher, le deuil, sont des sujets qui mettent mal à l’aise et qui ne donnent pas envie d’être tout jouasse. Pourtant  après avoir lu Le livre de ma mère d’Albert Cohen, je me sentais bien. Quand on finit un livre, on se demande « est-ce que je l’ai aimé ? ». Si je vous parle de ce bouquin ce soir, c’est parce que je suis incapable de répondre à cette question, je suis partagée. Je l’ai adoré et détesté tout aussi fort.

C’est un livre sans chronologie. Albert Cohen a perdu sa mère et il fait part de sa souffrance et de sa solitude. Il se concentre sur certains souvenirs heureux ou douloureux. Il est un peu déprimé le mec, « chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte » nous dit-il en guise d’intro. Affirmation qui donne envie ou de se pendre, ou d’aller vivre reclus dans une ferme au fin fond de l’Auvergne avec des chèvres. Malgré cet incipit glaçant et péremptoire,  on continue, parce qu’il a l’air tellement malheureux qu’on n’a pas envie de le laisser tout seul. Et ça se lit bien, très bien même. Il raconte des bribes de souvenir qu’il a de sa mère. D’abord quand elle est déjà vieille et qu’il vient lui rendre visite et ensuite pendant l'enfance. Un épisode m’a particulièrement marqué parce qu’il montre tout à fait comment le narrateur aime et en même temps a honte de sa mère et aussi a quel point l’un et l’autre sont en décalage (ça nous replonge tous en adolescence là…) Elle est venue lui rendre visite à Genève et, tout au long de sa visite, il a envie qu’elle reparte. Elle continue a lui donner la main dans la rue et malgré sa quarantaine, il ne peut s’empêcher d’être mal à l’aise. Alors qu’elle reprend le train le lendemain il reste indifférent à sa tristesse qu'il trouve exagérée. Il l’imagine dévastée par le chagrin et s’empresse pourtant d’aller rejoindre son amante. Il fait souffrir la maman pour satisfaire la putain. Cet épisode l’emplit de culpabilité. Ca fait penser à Rousseau qui avoue le vol du ruban dans Les confessions. Mais Cohen ne cherche pas l’absolution du lecteur, ni même de sa défunte mère. Il introspecte comme on dit.

La mère d’Albert Cohen est la mère juive comme on se l’imagine. Il la présente comme une sainte venue d’un autre temps et qui a consacré sa vie à son fils. Le manger, la lessive, le ménage et il la respecte pour ça. C’est pas franchement féministe mais l’amour que voue le narrateur à sa mère est si pur, qu’il nous fait oublier la trop grande simplicité et bonté de la figure maternelle.  On oscille constamment entre le respect pour l’amour qu’elle lui voue et l’envie de lui mettre une claque et de lui dire « réveille toi ma fille, vis ta vie, tu es pas la boniche des hommes». Les souvenirs d’enfance l’envahissent peu à peu et laissent place non plus à des récits mais à des sensations visuelles et olfactives très réussies. Cette partie est très poétique et on en le lisant à haute voix, on a l'impression d'être bercée, comme tout petit, par les voix rassurantes de nos parents. L’enfance est le paradis perdu. Il n'a pas eu une enfance très funky le pauvre, il était très malade et passait le plus clair de son temps chez lui avec sa mère. Elle est donc clairement ce qui le relie à cette enfance. Il écrit d’ailleurs « Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance. L’homme veut son enfance, veut la ravoir. J’ai été un enfant, je ne le suis plus et je n’en reviens pas ». Je ne suis pas un homme, mais j’imagine que c’est comme ça qu’un garçon aime sa mère. Il la veut pure et sainte et elle l’est souvent. Elle s’oppose à l’amante. Comme dans le film de Jean Eustache, la maman et la putain.

Quoi qu’il en soit, c’est un hymne à l’amour maternel, et une douce consolation quand on est soi-même face à une perte. La sincérité de l’auteur transpire et je me sens obligée ici de l’opposer complètement cette fois à Rousseau, hypocrite de 1ere qui écrivit son autobiographie pour justifier sa mauvaise vie. Je t’aime bien Rousseau, te méprend pas, moi je préfère les menteurs plein d’esprit à ceux qui dégoulinent d’amour, mais pour ceux qui aiment l’authentique, Albert  Cohen c’est vraiment bien d’autant plus que c’est pas too much. Tous les garçons devraient aimer leur mère comme ça.

 

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14 novembre 2011

Le diable au corps VS Les enfants de l'aube

Quand j’avais 17 ans, j’ai lu le diable au corps. J’avais trop kiffé comme disent les jeunes. Je l’ai relu il y a peu et bon, mon avis est plus mitigé.

Charles a 15 ans et c’est un rebelle. Il rencontre Marthe (a.k.a la cougar) qui a 19 ans et ils tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Charles aime Baudelaire et se la raconte pas mal. Seulement Marthe se marie à Jacques qui part à la guerre. Les deux amoureux deviennent alors amants, Charles narrant avec toute la niaiserie du monde leurs ébats au coin du feu et dans la nature. Bref. Ils s’écrivent des lettres d’amour mielleuses et s’aiment à la folie. Seulement voilà, dame nature fait mal les choses et Marthe tombe enceinte. Elle réussit à faire croire à son mari (tout en priant pour qu’il meure à la guerre) que l’enfant est de lui. La guerre se termine et il rentre s’occuper de sa femme avant l’accouchement. Charles et Marthe sont séparés, et s’écrivent à nouveau des lettres pathétiques. Finalement, Marthe meurt lors de l’accouchement et le nouveau-né prénommé Charles sera élevé par Jacques. Charles est triste. C’est tragique.

L’histoire est vieille comme le monde et chiante à mourir. Seulement Radiguet, malgré la régulière et parfois agaçante volonté esthétique écrit vraiment très bien. L’écriture est fluide et il m’est arrivé de relire plusieurs fois le même paragraphe à haute voix, simplement parce que c’était beau. On ne peut que terminer le bouquin, parce qu’on peut, comme moi, ne pas être fan des histoires d’amour tragique, mais s’émouvoir quand c’est bien raconté.  Et puis on peut pardonner les envolées lyriques de l’auteur puisqu’ il avait 17 ans quand il l’a écrit. Fucking genius quand on sait qu’il est mort à vingt ans et qu’il a laissé derrière lui deux romans, quatre recueils de poésie et une pièce de théâtre. C’est un Roméo et Juliette revisité, comme toutes les histoires d’amour tragiques et malgré un récit parfois très prévisible on se laisse prendre. En tout cas, je me suis laissée prendre, je dois bien l’avouer. Et c’est la première histoire d’amour que j’ai pu lire jusqu’au bout.

J’avais donc décidé d’être moins intolérante à ce type d’œuvre. Alors quand  je suis tombée par hasard  sur un bouquin de PPDA qui s’appelle les enfants de l’aube et qui semblait être une histoire d’amour, j’étais doublement intriguée et je l’ai lu. Tout le long de ma lecture, j’avais l’impression que l’histoire était une réécriture du diable au corps de Radiguet. J’ai eu beau chercher et chercher encore dans d’obscurs articles de critique littéraire, aucun ne faisait part de cette étrange ressemblance, préférant citer Tristan et Iseult comme histoire ayant potentiellement inspiré l’auteur. Pour les avoir lus, je peux vous assurer qu’il n’y a aucun point commun entre les deux, si ce n’est le nom du héros qui se nomme aussi Tristan. S’il y a bien quelque chose que je déteste plus encore que les livres de Pierre Michon c’est la volonté chez les auteurs médiocres de se comparer à des monuments.

Bref, Tristan est un préado très faible et qui va dans un centre pour ado malade. Il rencontre Camille, jeune fille radieuse et un peu rebelle. Ils tombent amoureux et vivent, tout comme Charles et Marthe un amour niais et passionné. Comme Charles et Marthe, pour des raisons familiales, ils ne peuvent vivre cet amour au grand jour. Et Dame nature leur laisse également un cadeau, un enfant et évidemment Camille mourra en lui donnant la vie elle aussi. Finalement l’originalité de PPDA consiste simplement à poursuivre l’histoire et à nous faire part des difficultés pour Tristan d’élever le fruit de son amour éternel. En plus d’être une adaptation personnelle et cachée au monde entier du livre de Radiguet, celui de PPDA est juste chiant. Il n’a pas d’intérêt littéraire, il est nettement moins bien écrit que celui de Radiguet, le style est pompeux et l’histoire pompée. PPDA dit qu’il l’a écrit à dix sept ans  -comme Radiguet !!-, (étrange pour quelqu’un qui était déjà influent dix ans auparavant…) ce qui excuse sans doute la prévisibilité du récit et la lourdeur du style mais alors, pourquoi l’avoir publié puisque c’est nul ?? Avis aux écrivains, s’il vous plaît, si vous choisissez d'écrire exactement la même histoire que celle de livres qui existent déjà, sans y ajouter une once d'originalité 1) admettez-le, et 2) si c’est pour faire encore plus nul que le livre d’origine, abstenez-vous.

Vous l’aurez compris, si vous avez besoin d’une histoire d’amour tragique, il vaut mieux lire Radiguet. L’histoire est quasiment la même mais elle est bien écrite et parfois, c’est déjà ça…

    

 
14 novembre 2011

Des hommes qui marchent et des femmes qui racontent

Les hommes qui marchent image

Il y a des livres qui divertissent (comme ceux de Nothomb), d’autres qu’on déteste (comme ceux de Pierre Michon), d’autres qu’on oublie dès qu’on les a terminés (...) et il y a les livres qui changent votre vie. Pour mon premier article j'ai décidé de parler de cette dernière catégorie, et Les hommes qui marchent de Malika Mokeddem a changé ma vie. Je ne connaissais rien à la littérature dite francophone, autrement dit, la littérature de ceux qui écrivent en français mais qui ne sont pas français et c’était exactement ce par quoi il fallait commencer.

Zohra a été nomade une grande partie de sa vie. Elle est tout ce qui reste des « hommes qui marchent » c'est-à-dire des bédouins, et elle dépérit là, au pied des dunes, où elle s’est installée avec sa famille, s’improvisant conteuse des temps anciens. Elle raconte à ses enfants, puis à ses petits-enfants. Parmi eux, Leila, première fille de la famille à maitriser l’écriture. Comme Zohra, c’est un être rebelle. Elle puisera dans la parole de sa grand-mère la force de s’opposer au destin qu’on avait tracé pour elle et aux coutumes d’un autre âge. Leila et Zohra racontent pour ne pas mourir. Ces deux femmes sont magnifiques. Elles évoluent en miroir et l’une avec la parole, l’autre avec l’écriture, tentent de sauver ce qui reste de l’Algérie qu’elles aiment et qu’elles souffrent de voir en feu. L’histoire est prenante, mais c’est surtout que malheureusement, ici, on ne connaît rien à l’histoire de ce pays et c’est à travers les histoires de Zohra et l’histoire de Leila que s’esquisse une histoire de l’Algérie avant, pendant et après la guerre.

Ni féministes à la con type chienne de garde, ni simplistes, Zohra et Leila sont simplement des femmes majestueuses qui font ce qu’elles peuvent. Les hommes ne sont pas mis de côté, ils ne sont pas décrits comme des gros salauds ou même des êtres oppressants qui empêcheraient les femmes de s’épanouir. Ils sont pris dans une autre guerre et ne peuvent pas, même s’ils le voulaient, s’occuper de l’émancipation des femmes et de l’évolution de leur condition de vie. Cependant, rien de manichéen, il ne s’agit pas d’opposer les sexes pour glorifier la femme, ce qu’on trouve par exemple chez Léila Marouane, autre écrivaine algérienne, qui fait du père une figure inconstante et tyrannique, s’opposant constamment au bonheur de sa femme et de ses filles. Chez Mokeddem, l'homme n'est ni dénigré ni mis au pilori. Il est simplement moins important que les deux femmes qui content. 

La parole de Zohra a quelque chose de magique. Elle m’a envoutée… Elle nous transporte littéralement dans un désert algérien fascinant et destructeur en même temps. Elle l’aime son désert, même s’il est violent et sans concession. Elle le raconte comme elle raconterait l’histoire d’un intime. C’est toute la force du livre. Je trouve qu’il n’y a rien de plus ennuyeux (tu m’excuseras Zola) que les descriptions qui n’en finissent pas et qui donnent juste envie de bruler le livre. Mokeddem évite le piège malgré une réelle littéralité. Tout le monde peut avoir accès à ses mots, à l’histoire et à la poésie sans lourdeur de l’écrivaine. Bref, lisez le, je l'ai pas spoilé et c'était dur... il enchantera vos soirées en solitaire et changera peut-être aussi votre vie.

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  • Les critiques littéraires sont souvent chiantes, trop cérébrales, élitistes et peu accessibles. Parce que la littérature c'est ni chiant ni cérébral ni élitiste, j'écris des articles sur des écrivains cool, exigeants mais qui me mangent pas le cerveau.
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